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 Groupe Commune de Paris de La Fédération Anarchiste

Que crève le vieux monde !

Que crève le vieux monde !

Que crève le vieux monde !


Ah ! Ah ! c’est le jour de l ‘an !

Les faces s’illuminent et les maisons s’éclairent ! Tout est apparat, tout est façade, tout est leurre, tout est tromperie !

Le souhait qui vous reçoit est un blasphème ou une moquerie. Dans la curée âpre des appétits, c’est l’armistice, c’est la trêve. Dans l’âpre curée des batailles, c’est le jour de l’an.

L’ambulance regorge de blessés et l’hôpital refuse des malades. L’obus a ouvert ce ventre et la machine a coupé ce bras. Les crimes des mères, les pleurs des enfants font retentir à nos oreilles l’affreuse mélodie de la douleur, toujours la même.

Le drapeau blanc flotte : c’est l’armistice, c’est la trêve pour une heure et pour un jour, les mains se tendent, les faces se sourient, les lèvres bégaient des mots d’amitié : ricanements d’hypocrisie et de mensonge. Bonne vie à toi propriétaire ?, qui me jettera sur le pavé de la ville sans t’occuper du froid et de l’averse …

Bonne vie à toi patron ? Qui me diminua ces jours derniers parce que faiblissait mon corps après la dure maladie que je contractai à ton service… Bonne vie, bonne vie à tous…, boulangers, épiciers, débitants qui enserriez ma misère de vos péages honteux et qui teniez commerce de chacun de mes besoins, de chacun de mes désirs.

Ah ! Ah !, bonne vie et bonne santé ?

Vous voulez des vœux, en voilà : que crève le propriétaire qui détient la place où j’étends mes membres et qui me vend l’air que je respire !

Que crève le patron qui, de longues heures, fait passer la charrue de ses exigences sur le champ de mon corps !

Que crèvent ces loups âpres à la curée qui prélèvent la dîme sur mon coucher, mon repos, mes besoins, trompant mon esprit et empoisonnant mon corps !

Que crèvent les catalogués de tous sexes avec les désirs humains qui ne se satisfont que contre promesses, fidélités, argent ou platitudes !

Que crève l’officier qui commande le meurtre et le soldat qui lui obéit ; que crève le député qui fait la loi et l’électeur qui fait le député !

Que crève le riche qui s’accapare une si large part du butin social !, mais que crève surtout l’imbécile qui prépare sa pâtée.

Pour que nous puissions chanter la vie, un jour en toute vérité, il faut, disons le bien hautement, que les hommes décident tout à coup de dire ce qu’ils pensent. Faisons un jour de l’an où l’on videra sa pensée à la face de tous.

Ce jour là les hommes comprendront qu’il n’est véritablement pas possible de vivre dans une pareille atmosphère de lutte et d’antagonismes.

Ils chercheront à vivre d’autre façon, ils voudront connaître les idées, les choses et les hommes qui les empêchent de venir à plus de bonheur.

La propriété, la patrie, les dieux, l’honneur courront risques d’être jetés à l’égout avec ceux qui vivent de ces puanteurs.

Et sera universel ce souhait qui semble si méchant et qui est pourtant rempli de douceur : que crève le vieux monde !


Albert Libertad, Que crève le vieux monde !, in l’anarchie 27 décembre 1906

 Joseph Albert, dit Libertad ( 1875 – 1908 ) est l’une des figures de l’individualisme à la Belle époque.

Surnommé le Roi de la Butte Montmartre, il dirige le journal L’anarchie ( avec une minuscule puisqu’il ne doit pas y avoir, dans l’orthographe non plus, de lettre plus grandes que les autres ) et participe à l’essor des Causeries populaires  Il impressionne alors surtout par le regard acerbe qu’il porte sur la société de l’époque et ce style direct reconnaissable entre tous.
 

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