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 Groupe Commune de Paris de La Fédération Anarchiste

''Sentiment de la nature'' Elisée Reclus

''Sentiment de la nature'' Elisée Reclus

Un commentaire de la récente réédition du livre d’Élisée Reclus.

La passion du beau, le respect de la nature

L’œuvre d’Elisée Reclus est à nouveau reconnue. Auteur d’une fresque gigantesque, Géographie universelle en 19 volumes, il donne du sens à l’observation de l’influence des hommes sur leur environnement naturel et souligne leur responsabilité avec cette célèbre formule « l’Homme est la Nature prenant conscience d’elle-même ». Voyageur infatigable, il parcourt les continents, reçoit des contributions de correspondants, échange avec d’autres géographes du monde entier. Cette notoriété lui sauvera la vie lors de son arrestation par les Versaillais. Géographe et anarchiste, il place l’Homme et la Nature au cœur de son œuvre. Un précurseur d’une écologie sociale doté d’une approche sensible de la nature.

Chez lui, l’analyse n’est jamais sèche, aride. Au contraire, il donne à aimer ce qu’il décrit. Il explique la joie de gravir les montagnes qui deviennent des êtres vivants, un plaisir physique, une joie intellectuelle de triompher de l’obstacle malgré la petitesse de l’homme.

Goûter et protéger la nature

Pourtant l’Homme sait-il aimer cette nature qui lui paraît rude à travailler et qui suscite une vague terreur face à l’inconnu ? Qui n’a jamais ressenti d’inquiétude face une mer déchaînée ou même simplement un orage en montagne ? il faudra attendre Rousseau pour percevoir le beau dans la nature. Tout s’apprend et « le sentiment de la nature, comme le goût des arts, se développe par l’éducation ». « Il faut que l’amant de la libre nature ait un goût d’une rare délicatesse pour qu’il puisse toucher à la terre sans en détruire la grâce, ou même en lui donnant une plus grande harmonie de lignes et de couleurs. Et pourtant c’est là le résultat qu’il est indispensable d’atteindre pour que les sociétés puissent avancer en civilisation d’une manière normale et que chacun de leurs progrès ne soit pas acquis aux dépens de la terre qui leur sert de demeure ». Élisée Reclus possède une confiance indéfectible dans l’homme. Au contact du beau, celui-ci saura rester prudent quant aux conséquences de ses actes. « Désormais, grâce aux voyages, c’est la planète elle-même qui ennoblira le goût de ses habitants et leur donnera la compréhension de ce qui est vraiment beau. [ ils] apprennent, à la vue de ces tableaux grandioses, à saisir la véritable beauté des paysages moins frappants et à n’y toucher qu’avec respect lorsqu’ils ont le pouvoir de les modifier ».

Militant politique, Elisée Reclus sait rester lucide et analyse le mal des villes qui certes se construisent pour protéger les habitants, développer le commerce, la vie, engendrant une dépopulation des campagnes, un déséquilibre des territoires et des hommes. Le résultat est ambivalent. Nombre d’émigrants des campagnes y trouvent, non leurs rêves de fortune, mais « la pauvreté, la maladie, une mort prématurée dans les grandes villes ». Voilà qui fait écho au « Tableau de l'état physique et moral des ouvriers » de Villermé consacré à la misère du prolétariat au XIXe siècle. Pourtant d’autres vont y trouver des échanges d’idées, une ouverture intellectuelle. Pour reprendre un dicton repris par Max Weber, « l’air de la ville rend libre » mais à quel prix !!! Pour Reclus, « c’est un fait bien connu que l’air des cités est chargé de principes de mort ».

Dénoncer la destruction de notre espace naturel

Toujours en avance sur son temps, Elisée Reclus analyse les effets de l’extension de la ville et le phénomène de la rurbanité qui accroît les temps de transport, enlaidit les paysages, renforce la spéculation foncière. Ces pages ont été écrites en 1866, elles sont d’une actualité totale pour qui connaît ces agglomérations parisienne, lyonnaise, lilloise ou autre. En ces espaces, « la nature n’est représentée que par les arbustes taillés et les massifs de fleurs qu’on entrevoit à travers les grilles. » En parallèle de la destruction de l’harmonie de l’espace, « la Cité, […] se dépeuple de résidents ; le jour, c’est la ruche humaine plus active ; la nuit, c’est un désert ».

A la spéculation, à la passion de l’accaparement des espaces pour bâtir, s’ajoutent les erreurs des paysans qui causent leur « propre ruine par les modifications qu’ils introduisent sans le savoir dans les climats ». « Il importe peu à l’industriel […] de noircir l’atmosphère des fumées de la houille et de la vicier par des vapeurs pestilentielles ».

Avec Elisée Reclus, « on ne peut s’empêcher de regretter la brutalité avec laquelle s’accompagne cette prise de possession » de la nature par l’homme.

Il nous lance un avertissement prémonitoire : « Une harmonie secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir. »

  • Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes

Élisée Reclus

Ed. Bartillat, 2020

 

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